Dossier Technique N°23 | févier 2000 |
Notre ami Jean Fabien Dupont a publié récemment une conférence dans le SMPTE Journal (Society of Motion Picture and Television Engineer) sur l'évolution des technologies de l'image. Il est exceptionnel qu'un membre de la CST écrive dans cette revue. C'est pourquoi le Dossier Technique de ce mois est la traduction de cette conférence.
MS
Le Film et le futur de la captation des images
Par Jean Fabien Dupont (Kodak)
Les occasions pour la production de film de haute qualité augmentent avec l'accroissement des nouveaux canaux de distribution comme la télévision numérique (DTV), la télévision haute définition (HDTV), les jeux et l'Internet. Le traitement des formats d'image différents et incompatibles est un défi important. Le film a un rôle important pour la captation des images en raison de sa grande latitude d'exposition, sa gamme de couleur étendue, et sa résolution qui excède n'importe quel format prévisible de distribution. Le film est indépendant des matériels et des logiciels utilisés et ainsi, est parfait pour la préservation des archives. En dépit des avancées récentes, la projection électronique est encore loin derrière en qualité et en coût, et il est meilleur marché de tirer une copie 35mm que de la transmettre électroniquement.
La tendance est d'améliorer le spectacle cinématographique avec des grands formats, des grands écrans, et des cadences images élevées. Kodak améliore sans cesse la technologie du film pour soutenir cette demande de qualité. Kodak invente de nouvelles manières d'employer des technologies électroniques et numériques pour pousser le film plus loin. Cette convergence a déjà commencé ... profitons en !
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Introduction |
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Le sujet est le futur de la formation des images. Comme la presse nous l’indique, il a déjà commencé. Nous avons tous entendu les nouvelles : bientôt, nous choisirons parmi des centaines de canaux de TV, des films à la demande, le multimédia interactif et la réalité virtuelle. Bientôt, nous regarderons la télévision numérique (DTV), la télévision à haute définition (HDTV) et écran large. Tout cela est un peu accablant et confus. Aussi essayons de donner un peu de sens à tout cela. Nous commencerons en regardant le futur de la production d'images de télévision, et le rôle que le film peut y tenir. Puis, nous examinerons les possibilités uniques du film. En conclusion, nous finirons avec un coup d'œil sur certaines des contributions de Kodak au futur des images.
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Le film et le futur |
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Ce futur semble être constitué de deux branches. Premièrement, les nouvelles manières d'employer, de manipuler, et de transmettre les images. Cela inclut tous les canaux de télévision et films, plus les médias interactifs comme les jeux, les CD-ROMS et l'Internet. Pour les producteurs d’images, ces nouveaux médias ajoutent une richesse et de nouvelles opportunités. Pour les (télé)spectateurs, ils veulent dire de nouveaux choix de programmes. En second lieu, le futur est supposé améliorer la qualité des images que nous observons, particulièrement à la maison. C'est là où le numérique, les écrans larges, et la haute définition entrent en jeux. Ils nous apporteront des images plus grandes, et mieux définies. C'est le côté positif, la promesse du futur de la télévision.
Mais il y a également des problèmes potentiels, ou au moins des questions qui demeurent sans réponses. Aujourd'hui, nous ne savons toujours pas dans quel format ces images numériques de haute qualité seront transmises vers nos maisons. L'industrie mondiale de la télévision a parlé de HDTV pendant environ deux décennies mais ce n'est que récemment que l'industrie a décidé que le futur serait dans des formats numériques. Tandis que l'Europe attend de voir, la Commission Fédérale des Communications US (FCC) a pris quelques décisions importantes en avril 1997, et en a ignoré d'autres. Elle a annoncé qu'en 2006, toute la diffusion télévisuelle aux Etats-Unis serait numérique. Cette année-là, la télévision numérique (DTV) rendra toute la technologie actuelle des émetteurs et de nos récepteurs obsolètes. Mais il reste un certain doute : cela se produira-t-il vraiment ? S'il n'y a pas assez de consommateurs équipés de TV Numérique, cette date sera repoussée. Plus important, la FCC a renoncé à la lutte pour des normes techniques communes. Elle n'a pas décidé de la norme pour la DTV, de la fréquence de balayage, du format d'image, du nombre de lignes de résolution, etc... Au lieu de cela, elle a approuvé une variété des formats proposés, et a indiqué que le marché devrait décider lequel s'imposera. Cela signifie que la télévision numérique peut être haute définition (HD), définition standard (SD), écran large ou 4/3. Mais les radiodiffuseurs veulent offrir de meilleures images en numérique qu'en analogique. Ainsi, nous pouvons supposer que leurs programmes seront disponibles dans un ou plusieurs formats dans un proche avenir.
D'autre part, nous
ne savons pas quel genre de caméras, d'enregistreurs, et de systèmes
d'émission seront employés. Il y a des approches contradictoires.
Par exemple, une coalition des constructeurs informatiques favorise les
systèmes à balayage progressif, alors que la plupart des
diffuseurs sont partagés entre les formats entrelacés et
les formats progressifs. Ce conflit est dicté par divers motifs
techniques et financiers. Mais le fait que les sociétés d'informatique
soient impliquées nous indique autre chose au sujet du futur de
la formation de l'image. Ce sera une ère de convergence des technologies,
de convergence des marchés, et de convergence des entreprises. Nous
pourrons voir des ordinateurs qui agissent comme des télévisions,
des télévisions qui agissent comme des ordinateurs, et des
compagnies de téléphone, qui, à l'aide de leurs réseaux
câblés et satellitaires, vont diffuser à la fois des
contenus informatiques et des programmes télévisés.
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Le rôle du film et ses capacités |
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Maintenant, parmi toutes ces possibilités et puzzles électroniques, quel est le rôle du film ? Beaucoup de créateurs de nouveaux programmes choisiront le film cinématographique parce qu'il possède ce que le futur exigera : la qualité d'image la plus élevée et la compatibilité mondiale. L'image qu'il porte est compatible avec, et indépendante de, n'importe quel système analogique ou numérique de télévision. Pour les créateurs, la question devient : " quelle pellicule et quel format ? ". Le film négatif couleur de 35 millimètres est largement employé pour le tournage des téléfilms, des films et des films publicitaires de télévision. Bien que le film super 16 millimètres soit également employé dans des productions de télévision, le 35 millimètres reste le format de tournage préféré. Les résultats des efforts et des investissements de tous sont les images affichées sur l'écran de télévision. Le film cinématographique est un support sûr pour les images d'aujourd'hui et de demain. Regardons cela d'un peu plus près.
D'abord, la qualité du film, ce que certains appellent le "film look", le "rendu film". C'est ce qui distingue les images argentiques des images électroniques. Cela vient de la façon dont le film capture les images. Le film utilise des capteurs répartis aléatoirement formés de cristaux d'halogénure d'argent. Les cristaux d'halogénure d'argent sont exposés à la lumière et réagissent avec le révélateur pour former de l'argent métallique. Ce développement est l'équivalent d'une amplification du signal. Quelques photons capturés par un cristal sont transformés en millions d'atomes d'argent métal. Le processus continu, ajoutant un certain nombre de facteurs. Les colorants réels stockent et reproduisent les formes de la scène, ses couleurs et sa luminance. La science qui nous aide à mesurer comment les émulsions photographiques répondent à l'exposition et au traitement s'appelle la Sensitométrie. Une courbe sensitométrique trace la densité du film en fonction de l'exposition. L'utilisation d'une échelle logarithmique permet de mieux représenter l'importance relative des basses et hautes expositions. Pour étendre ses possibilités de capturer des différences de niveaux très faibles, le film emploie des couches multiples avec différentes tailles de cristaux d'halogénure d'argent. C'est comme si on utilisait trois capteurs dans des gammes différentes qui se recouvrent parfaitement. Le résultat est que le film a une très large latitude d'exposition. Il peut capturer simultanément les plus hautes lumières et les ombres les plus profondes. Et, tant dans les ombres que dans les hautes lumières, le film peut reproduire les variations de teintes les plus subtiles. Pour représenter cette gamme dynamique, 12 à 14 bits seraient nécessaires. Les émulsions sont enduites sur le film en plusieurs couches pour augmenter la latitude d'exposition. Dans un film couleur, ce système est répété 3 fois, une fois pour chacune des couleurs primaires. L'enregistrement parfait de la couleur est réalisé. En raison de sa grande dynamique et latitude de pose, le film peut reproduire une gamme étendue de couleurs et des variations de tonalité subtiles. L'équivalent de plusieurs milliards de couleurs.
Les émulsions enduites sur le film fournissent un enregistrement continu d'une scène. Elles répondent comme nos yeux . C'est un enregistrement analogique qui évite tous les artefacts associés à la numérisation. Il n'y a aucun crénelage parce qu'il n'y a aucun échantillonnage. Les CCD utilisés dans les caméras électroniques échantillonnent la scène sous la forme de pixels. Et, dans le film, il n'y a aucun effet de contour ou d’aplat parce qu'il n'y a aucune quantification. Le traitement et le stockage numériques de l'image souffrent de la quantification sur un nombre de valeurs trop faible. Les filtrages numériques utilisés pour limiter le bruit sont l'équivalent de ce que fait le grain du film, à une échelle beaucoup plus fine.
Il y a également la question de résolution. Le film de 35mm capture 6 fois la résolution de la HDTV. La réponse en fréquence d'un film, sa fonction de transfert montre qu'il y a encore des détails lors d'une numérisation à 4000 points par 3000 lignes. C'est vrai même avec les films les plus sensibles. Il n’y a qu’à comparer la taille relative d'une image film de 35mm et d'un capteur CCD utilisé dans une caméra HDTV pour comprendre. Ainsi n'importe quel film négatif a déjà plus qu'assez de qualité et de résolution, pour répondre aux besoins de n'importe quel système avancé de télévision, y compris les formats haute définition numérique de la diffusion du futur. C'est pourquoi les films de long-métrage, particulièrement ceux aux formats larges, et les téléfilms produits sur support pellicules, seront si importants pour la programmation des futures chaînes HDTV. A l'inverse, les programmes qui sont convertis dans des formats courants, tels que le NTSC ou le PAL, ne peuvent pas fournir la qualité améliorée que les futurs systèmes exigeront. L'information visuelle est simplement absente.
L'autre demande du futur sera la compatibilité des types d'images. Puisqu'il y a tellement d'incertitude au sujet de la télévision numérique, aucun accord sur les formats et les normes ni aux Etats-Unis ni au niveau mondial, cela donne tout son sens à l'utilisation d'un support qui est déjà une norme mondiale : le film. Et, naturellement, le film peut être facilement converti en n'importe quel format électronique actuel ou futur. Ainsi, peu importe comment les questions techniques seront résolues, les programmes de film deviendront des programmes de DTV. C'est pourquoi nous disons que le film est à l'épreuve du temps.
Une autre raison pour laquelle le film est considéré à l'épreuve du temps ce sont ses possibilités d'archivage. Le film cinématographique s'est avéré être un excellent support de stockage pour préserver notre héritage visuel. Les films faits il y a des décennies permettent encore le divertissement et l'enchantement du public d'aujourd'hui, tandis qu'une grande partie des programmes enregistrés sur cassettes vidéo ont été perdus pour toujours. L'espérance de vie du film correctement stocké peut-être de 50-100 ans tandis que celle de la cassette vidéo magnétique est de 10-20 ans au mieux. Les archives de film sont une source significative de revenu pour l'industrie du cinéma et de la télévision. La chambre forte des films contient souvent le capital principal d'un studio. Les conditions de stockage jouent un rôle important en prolongeant l'espérance de vie d'un film. Les effets de la température excessive, de l'humidité élevée, et des contaminations gazeuses sur le film sont bien documentés. Le syndrome au vinaigre, dû à la désacetylation du support du film triacétate de cellulose lors du stockage, a été discuté en détail dans la littérature. Kodak a mené des recherches dans l'utilisation de déshydratant, passoires moléculaires, comme moyen pour enlever au fur et à mesure les sous-produits libérés par le film lors du stockage. Les passoires moléculaires absorbent non seulement l'humidité, mais les acides, les oxydants, et les dissolvants libérés par le film pendant le stockage, et de ce fait empêchent le syndrome au vinaigre.
L'épreuve du temps a toujours été un problème pour l'image électronique parce qu'elle dépend du matériel. Chaque avancée principale exige d'investir dans des équipements coûteux, comme ce fût le cas pour passer des enregistreurs analogiques aux enregistreurs numériques, des caméras à tubes aux caméras à CCD, et ainsi de suite. Il est sage d'être prudent avant d'investir dans des équipements de production électronique qui peuvent devenir obsolète si une norme différente est adoptée, ou si de nouvelles améliorations sont développées.
Avec le film, à l'inverse, les améliorations sont faites dans le film lui-même. Il n'y a aucun besoin d'acheter de nouveau matériel pour profiter des derniers progrès. Naturellement, les caméras cinématographiques ont également progressé au cours des années, mais n'importe qui avec une vieille caméra film de 35mm, même celle qui a filmé "Citizen Kane" en noir et blanc il y a plus de 50 ans, a déjà fait tout l’investissement nécessaire pour tourner en HD. Cette théorie est également vraie pour les cinéastes qui utilisent des caméras 16 millimètres. Une vieille Arri ou Aaton 16 millimètres peut facilement être transformée en une superbe super 16 millimètres, permettant à cette caméra d'être prête pour la HDTV. L'investissement pour cette mise à niveau est minime, et en considérant que la caméra pourrait avoir plus de 25 ans, dépenser quelques milliers de dollars n'est pas trop demander pour des résultats qui sont maintenant reconnus dans le monde entier comme HD.
Nous devrions également nous rappeler les avantages pratiques de tourner sur pellicule, comme la souplesse d'utilisation. Les cinéastes peuvent choisir parmi une variété de pellicules pour trouver l'outil qui s'adapte exactement aux besoins de leur projet. Le film peut être réalisé à n'importe quelle cadence image, n'importe quel format et dans n'importe quelle caméra. Cette souplesse dans la cadence et le format n'est pas possible avec les caméras électroniques. Et avec les images sur pellicule, vous pouvez employer le télécinéma comme deuxième étape de la créativité. Pendant le transfert sur télécinéma, vous pouvez manipuler l'image, l'étirer, zoomer sur un détail, retravailler la couleur, pour créer toutes sortes d'effets sans perte de qualité d'image. Les images électroniques standard, n'ont pas assez d'informations visuelles pour supporter ce genre de manipulation. C'est pourquoi maintenant, plus que jamais, l'industrie voit le film comme le support de choix pour capturer les images.
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Les améliorations en cours de développement |
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Maintenant jetons un coup d'œil sur ce que Kodak fait pour faire progresser l’état de l’art et la technologie des images. D'une manière générale, nous nous concentrons sur deux secteurs : améliorer la qualité non encore surpassée de l'image argentique, et trouver de nouveaux moyens pour intégrer les technologies du film et de l'électronique. En se tournant d'abord vers le film, il est important de se rappeler que le film n'est pas une technologie statique. Pendant les 20 années depuis les débuts de la HDTV, le film a bénéficié d'améliorations régulières et la HDTV n'a toujours pas réussi à pénétrer dans nos maisons. Mais le film d'aujourd'hui est énormément supérieur au film d'il y a de deux décennies. Vers la fin des années 80, les scientifiques de Kodak ont littéralement réinventé le film, en changeant la forme des cristaux d’halogénure d'argent. Cela a amené des percées révolutionnaires dans la sensibilité, la résolution et le grain du film, en d'autres termes, dans la qualité de l'image. Ces percées sont devenues la base de notre famille de films Eastman EXR. En 1996, elles ont fait encore des progrès en annonçant d'autres percées technologiques, et une nouvelle famille de films encore plus fins : les films Vision de Kodak.
Récemment, nous avons présenté le dernier membre de la famille, la Vision 800T, le film le plus rapide du monde. Sa vitesse extrême donne aux producteurs de télévision une plus grande liberté créatrice et leur permet d'améliorer la qualité visuelle de la production sans augmenter le budget. Aujourd'hui, les films Vision créent les images de télévision qui sont franchement étonnantes. Quand vous voyez des images des films Vision transférées en HDTV, vous voyez les images de télévision de la plus haute qualité jamais atteinte. Il y aura encore d'autres percées technologiques dans les films à l'avenir. Le film continuera à avancer aussi rapidement et nettement que n'importe quelle autre technologie de l'image.
Ce qui avancera également est la convergence de ces technologies, la découverte de nouveaux moyens de combiner leurs forces spécifiques. Ainsi regardons brièvement la façon dont Kodak intègre le film et l'électronique. Un exemple simple est notre système de numérotation de bord : le Keykode. C'est un code barre sur le bord de notre film qui contient l'information d'indexation de l'image. Il relie automatiquement les images du film au time code de la vidéo, de sorte que des systèmes de montages virtuels électroniques peuvent être employés pour les programmes sur film. De plus en plus de fictions télévisées et même des films de long-métrage utilisent ce dispositif.
Un exemple plus
complexe est le télécinéma Spirit DataCine, de Philips,
le meilleur télécinéma du monde, qui utilise une technologie
de barrettes de CCD, propriété de Kodak. Avec le film qui
a une plus grande dynamique que n'importe quel système électronique,
il est important d'avoir le télécinéma le meilleur
pour transférer l'information à partir du film au format
de production vidéo. C'est pourquoi Kodak et Philips ont passé
un accord de développement pour combiner les deux technologies.
Le Spirit DataCine de Phillips convertit chacun des trois formats, 16mm,
super 16, et 35 millimètres dans tous les formats vidéo utilisés
dans le monde aujourd'hui, y compris le 720p.
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Conclusion |
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Voilà quelle est notre vision du futur des images et du rôle que Kodak y jouera. Nous avons dit que le futur apportera de nouveaux types d'images et de nouveaux niveaux de qualité. Nous avons noté qu'il comportera également une convergence des technologies. Ce dernier point est peut-être le plus important. Nous croyons qu'aucune technologie ne peut répondre à tous les besoins des créateurs et de l'industrie. Tourner nécessite les capacités de l'électronique à traiter et manipuler les images, pour créer des images jamais vues auparavant, et l'électronique a besoin de la qualité d'image inhérente du film pour rendre ces images aussi puissantes que possible. Cela devrait être la situation dans un futur proche, et, comme nous l’avons dit au début, ce futur a déjà commencé. Nous attendons avec intérêt de l'apprécier... avec vous.
Traduction :
Matthieu Sintas